En début de semaine, Dominique Cuvillier, blogueur associé sur Fréquence Optic, signait un papier-point de vue auquel Pierre Verrier, le patron de Cemo, réagit aujourd'hui. Au centre du débat : l'enjeu du made in France. Voilà, dans son intégralité, la tribune qu'il nous a adressée...

"C’est peu dire que l’article de Dominique Cuvillier sur « le mirage du made in France » m’a passablement agacé.

D’abord, d’une manière générale, au-delà de la seule industrie lunetière, avoir une industrie nationale est une question de survie ! Pour que les services continuent de vivre, ainsi que les commerces, il faut une industrie. Tous les pays qui ont essayé de se passer d’usines en reviennent. C’est en effet à ce niveau-là que nous avons la plus grande valeur ajoutée. Une donnée ne trompe pas : pour le même nombre de produits vendus, un distributeur sans usine fera travailler 4 à 5 fois moins de personnes qu’un distributeur avec une usine.

Ensuite, le délitement de notre tissu industriel s’est surtout accéléré dans les années 2000 avec la perte d’un million d’emplois. Pourquoi ? Tout simplement parce que nos frontières ont été ouvertes à la Chine (entre autres), sans aucune contrepartie, par Pascal Lamy et la Commission Européenne. Cette dernière a donc clairement choisi le consommateur qui doit toujours payer moins cher au citoyen qui doit vivre correctement de son travail dans son pays. Nos classes moyennes et ouvrières ont été sacrifiées au profit des classes moyennes et ouvrières asiatiques. C’est un choix ! Évidemment, je ne le partage pas, étant confronté au quotidien à des employés payés au Smic, salaire qui ne permet plus de vivre décemment.

Nos usines ont donc dû affronter la mondialisation avec un double handicap : plus de droits de douane ni de quotas pour atténuer les écarts de coûts et une imposition la plus élevée du monde notamment pour assumer un système de protection sociale, certes critiquable, mais qui a le mérite d’exister.

Concernant l’industrie lunetière française, elle est encore debout grâce aux créateurs qui voulaient avoir des produits se distinguant des produits made in China. Ils ont donc eu la volonté de maintenir une industrie et un savoir-faire français, contre vents et marées pendant toutes ces années. Nous pouvons citer les plus emblématiques : Lafont, Anne&Valentin, Theo, et plus récemment Nathalie Blanc à qui M. Cuvillier fait allusion en évoquant la pétition. Pardon pour tous ceux que je n’ai pas cités. À ce stade, il serait injuste de ne pas citer leurs partenaires opticiens, souvent indépendants, qui soutiennent le made in France.

Certes ces dernières années, le gouvernement n’a pas aidé notre secteur à fabriquer en France (abaissement du plafond de remboursement, montures à 30 euros pour le RAC 0). Mais le fait est que, contrairement aux créateurs et à certains opticiens, la plupart des intervenants du secteur ne s’intéressent pas à l’emploi industriel en France et abandonnent tel ou tel fabricant au gré de leurs humeurs et au risque de le faire couler.

Quant au luxe, à part Cartier qui continue à développer quelques collections en France, les autres se sont en effet depuis longtemps tournés vers l’Italie, et donc la ‘Chitalie’, pour économiser quelques euros… et certainement pas parce que les industriels français ne pouvaient ou ne voulaient pas les servir ou encore étaient moins agiles.

Il est effectivement illusoire de croire que rapidement nous allons pouvoir fabriquer des milliers de modèles différents de montures en 100 % made in France. Le made in France est lui-même galvaudé par des sociétés plus ou moins scrupuleuses à qui nous pouvons rappeler que le simple assemblage est interdit par la réglementation des douanes. Au moins, le label Origine France Garanti est fiable car audité par un cabinet indépendant.

Donc, avant de créer des usines, essayons de faire travailler celles qui existent et qui ne demandent que cela. Pour ce faire, on pourrait par exemple différencier les remboursements des montures OFG des autres. D’aucuns m’opposeront la position de la Commission de Bruxelles (encore elle), mais je parie qu’aujourd’hui ses rodomontades représenteront bien moins que le nombre de chômeurs potentiels en France. Et après tout, ce sont les cotisations des Français qui sont utilisées pour ces remboursements. Et cela ne couterait rien au budget de l’État !!!

On dit souvent aujourd’hui qu’il y a les vainqueurs et les perdants de la mondialisation. M Cuvillier fait sans doute partie des premiers. Quant à nous, petits provinciaux, nous en sommes clairement les victimes, mais nous continuerons à nous battre pour nos salariés et nos territoires.

« Il n’est de combats perdus que ceux que l’on n’a pas menés »

Pierre Verrier
Chef d’entreprise d’une usine fantomatique qui emploie 90 personnes et qui éructe son patriotisme !"