Hier nous nous sommes entretenus avec le président de la FNOF, Alain Gerbel, qui achève son dernier mandat. Fidèle à son franc-parler, quitte à froisser certains acteurs de la filière, il donne son point de vue sur l’actu et les enjeux professionnels à venir.

La mobilisation des opticiens autour du Manifeste lancé par son syndicat sur fond de campagne électorale est-elle à la hauteur de ses attentes ? C’est la première question que nous avons posée à Alain Gerbel (photo), hier. Il y a une relative déception dans sa réponse, mais pas d’étonnement : « Soyons francs, les retours de terrain sont assez faibles. Comme la plupart des Français, les opticiens ne se sont pas passionnés pour ces élections, c’était prévisible. Quand certains de nos adhérents sont allés à la rencontre des candidats c’est d’abord parce qu’ils les connaissaient un peu ou personnellement. Quoi qu’il en soit, notre Manifeste est une base solide que l’on continuera à promouvoir auprès des futurs députés ». Pourquoi pousser ce Manifeste, lui demande-t-on, plutôt que le récent Livre Blanc de l’optique dont l’organisation professionnelle est pourtant signataire ? Petit soupir d’agacement : « Le Livre Blanc est un document de filière qui est le fruit d’un consensus entre différentes parties prenantes [les syndicats d’opticiens et de fabricants_ndlr]. Qui dit consensus dit revendications forcément minimalistes », recadre-t-il d’abord, reconnaissant du bout des lèvres un soutien à cette initiative collective. « Ce qui nous importe d’abord ce sont les positions, plus concrètes et constructives, que nous défendons dans notre Manifeste. Et notamment tout ce qui touche à la notion de ‘plots de santé’*, notion que nous avons d’ailleurs fait intégrer au sein du Livre Blanc », précise le président de la FNOF, qui entend donc privilégier sa propre feuille de route. Quitte à donner l’impression de jouer sa partition en solo ? « L’avenir immédiat de la profession passe par les propositions de ce Manifeste, assène-t-il, et mon successeur les défendra à son tour. » À ce moment-là, un coup de fil interrompt notre conversation : c’est justement Hughes Verdier-Davioud, à qui il passera la main début 2023…

Bien qu’il soit entré dans sa dernière année de mandat, Alain Gerbel se dit toujours « sur le front et sur le pont », revendiquant jusqu’au bout son rôle de « poil-à-gratter ». Et l’intéressé d’énumérer les dossiers qui demeurent selon lui prioritaires : « La question du traitement des données personnelles de santé reste encore et toujours problématique et empoisonne au quotidien la relation des opticiens avec les Ocam via les plateformes. Ce sujet de la légalité de la transmission de certaines données n’est toujours pas réglé, loin de là », déplore M. Gerbel dont c’est depuis longtemps l’un des chevaux de bataille. Il s’attarde aussi longuement sur la question des logiciels-métier qui, assure-t-il, sont « largement inappropriés aux besoins des flux présents et à venir ». Ce qu’il critique ? « Ils sont trop lourds, trop compliqués, ils n’ont pas suffisamment évolué technologiquement. On rencontre toutes sortes de problèmes dès qu’on veut les interfacer avec des instruments du point de vente. » Et notre interlocuteur de pronostiquer de sérieux blocages à court terme : d’après M. Gerbel, « au moins la moitié » des logiciels sont voués à être obsolètes avec l’arrivée de la nouvelle convention Cnam et la mise en place du nouveau cadre de transmission. « Ces logiciels sont de vraies usines à gaz ! Sans parler des problèmes récurrents de conformité avec le RGPD », ironise-t-il, regrettant un « manque d’anticipation de la part des éditeurs ». L’occasion pour le patron de la FNOF de revenir encore une fois sur le thème si sensible des données : « Trop souvent l’opticien ne sait pas par quels tuyaux transitent ses données ; ça n’est pas normal, par exemple lors des commandes, qu’il y ait un manque de transparence. » 

Et le contexte inflationniste, comment pèse-t-il sur l’opticien ? « De toute évidence, la situation se tend », dit-il. Sur ce point, en tant que porte-voix d’un syndicat patronal, il ne peut que constater la hausse des coûts salariaux : « Pour compenser les charges grandissantes, une augmentation des prix de l’optique sera inéluctable », prévient-il, invitant les opticiens à se poser les «  bonnes questions » : celle de leur appartenance à des réseaux dont la pression tarifaire pourrait perdurer voire s’accentuer mais aussi celle du choix des fournisseurs avec lesquels les uns et les autres travaillent. Sur ce dernier aspect, détaille-t-il, « certains opticiens devront revoir leur politique d’achats, renégocier leurs accords commerciaux et faire jouer davantage la concurrence. S’ils sont habitués à jongler depuis des années avec le mix produits, ce sera plus que jamais nécessaire, vu le contexte, pour préserver leur rentabilité ».

* Ce que le syndicat appelle « plots de santé », rappelons-le, « c’est une visite médicale obligatoire réalisée par un ophtalmologiste à périodicité définie. Entre deux ‘plots de santé’, l’opticien serait chargé du suivi du porteur à travers des examens au cours desquels il jugerait de la nécessité de modifier la correction de l’équipement ou de renvoyer à l’ophtalmologiste en cas de problèmes détectés » (Extrait du Manifeste « La Vue pour Tous » de la FNOF).

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