Pas question, pour le syndicat des ophtalmologistes, de voir disparaître l'obligation d'ordonnance pour la délivrance de verres. "La suppression du passage par l’ophtalmologiste est une catastrophe pour la prévention oculaire, en particulier chez les enfants ! C’est la victoire du Marché sur la Santé", s'indigne son président Thierry Bour.

Le syndicat des ophtalmologistes s'indigne que le Sénat ait pu, ce week-end, voter l'amendement qui supprime l’obligation d’ordonnance pour les lunettes, y compris pour les moins de 16 ans, dans le cadre de l'examen du projet de loi Macron. "En supprimant cet alinéa, les sénateurs ont non seulement annulé le progrès apporté récemment par la loi Hamon (en mars 2014_NDLR), mais ils ont également ouvert la voie, pour les opticiens, à la prescription-vente de lunettes à des enfants de moins de 16 ans sans que ces derniers n’aient jamais vu de médecin. Ce faisant, ils remettent en question une politique de santé publique fondée, depuis des dizaines d’années, sur le dépistage et la prévention sanitaire des affections oculaire, en particulier auprès des plus jeunes", peut-on lire dans un communiqué du Syndicat National des Ophtalmologistes de France (SNOF). Thierry Bour, son président, se dit "catastrophé par l’inconséquence des sénateurs". Il déclare trouver "incompréhensible" la décision des sénateurs et revient point par point sur "les menaces", selon lui, que cet article de loi fait peser sur la santé publique. Ce faisant il réplique aux propos de Dominique Estrosi-Sassone (UMP), co-rapporteure du projet de loi : "Contrairement aux allégations de Madame Estrosi Sassonne, la suppression de l’obligation d’ordonnance ne constitue pas un retour à la situation précédent la loi dite Hamon, mais est une première dans la démédicalisation de la filière visuelle. Historiquement, l’ordonnance pour les lunettes est obligatoire pour les moins de 16 ans", tient à rappeler le Dr Bour. Il poursuit : "Par effet domino, l’amendement  qui vient d’être adopté supprime de l’article actuel du Code de la Santé publique toute obligation d’ordonnance, sans condition d’âge.  Si le projet de loi reste en l’état, il sera légalement possible, y compris pour les enfants, d’obtenir des lunettes sans jamais avoir vu d’ophtalmologiste, et donc sans jamais avoir été dépisté".

Le président du SNOF estime d'autre part que supprimer l'ordonnance est un coup porté au dépistage des jeunes mais également au reste de la population. "Ces dispositions risquent de générer des pertes de chances pour les patients. Dans un tiers des cas, les ophtalmologistes détectent  d’autres pathologies, parfois graves lors de l’examen des patients venus pour un renouvellement d’ordonnance de lunettes. Les affections de l’œil les plus graves sont asymptomatiques, la loi met en danger ces patients et multiplie les pertes de chances. En tout état de cause, à de rares exceptions près, ils devront attendre un stade avancé de la maladie  pour être alertés par des douleurs ou des gênes où les traitements sont plus lourds et moins efficaces. Les Français en sont par ailleurs conscients : selon la dernière étude SNOF-IFOP (2014), 71% d’entre eux s’opposent à ce qu’une personne non formée en faculté de médecine puisse effectuer un bilan oculaire et leur prescrire des lunettes".

Le porte-parole du SNOF tient également à démonter l'argumentaire de la sénatrice de droite selon laquelle l'obligation d'ordonnance prive les touristes de passage en France de se faire équiper en cas de besoin. Sur ce point, au-delà de l'élue UMP, le SNOF répond surtout à l'Union des Opticiens qui, la première, a avancé ce cas de figure pour justifier la disparition de l'ordonnance :  "Pour ce qui concerne les touristes qui auraient besoin de renouveler leurs lunettes en France parce que les leurs ont été cassées, plusieurs solutions existent déjà, s’ils n’ont pas de paire de rechange. S’ils ont un problème de vue simple : acheter des lunettes loupes avec des verres correcteurs génériques. S’ils ont un problème plus complexe, les opticiens peuvent alerter les ophtalmologistes qui les recevront en urgence. En tout état de cause, ils devront attendre plusieurs jours que leurs lunettes soient fabriquées, obligation d’ordonnance ou non et renoncer au service après-vente sur leur lunettes et à d’éventuels remboursements. De plus, avec cette disposition, les opticiens cumuleront de fait les rôles de prescripteurs et de vendeurs".

Après avoir exposé ces arguments en faveur du maintien d'une ordonnance pour conditionner la vente de lunettes, le Dr Thierry Bourg déclare s'en remettre désormais aux parlementaires réunis en Commission mixte paritaire. Il les appelle "à supprimer cette modification pour rétablir l’obligation d’ordonnance pour tous, c’est la contrepartie équilibrée de la possibilité pour les opticiens d’intervenir pendant 3 ans sur une ordonnance médicale. Nous sommes ouverts à l’aménagement du dispositif de renouvellement de lunettes pour les cas d’urgence avérée mais n’acceptons pas que le dépistage de toute la population soit sacrifié pour cela. C’est une disposition de santé publique dont les conséquences seront lourdes. Que deviendront les patients qui ne seront pas dépistés parce qu’ils auront eu leurs lunettes directement ?"

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