Mi-juin, notre rédaction a fait le déplacement dans le Haut-Jura, sur les terres de Morel, vénérable société farouchement indépendante. Avec le chat comme emblème, cette entreprise familiale nourrit de grandes ambitions pour perpétuer son héritage et son savoir-faire lunetiers. Reportage.

Quel panorama ! Depuis le QG de Morel, sur les hauteurs de Morbier (photo 1), on a une vue imprenable sur les montagnes environnantes. Est-ce cet horizon dégagé qui inspire la vénérable société ? Peut-être. Aller à la rencontre d’une entreprise dans son fief, c’est mettre des images sur des lieux, et des visages sur des noms devenus familiers avec le temps. Mi-juin, notre rédaction a fait le déplacement dans le Haut-Jura, sur les terres de Morel, entreprise familiale qui a 140 ans. Riche de son histoire sur laquelle elle capitalise, elle se veut portée par une vision ambitieuse de l’avenir. C’est la 4ème génération qui est aujourd’hui à la tête de l’entreprise. Amélie, Jérôme et Francis (2) sont les descendants du lointain fondateur Jules Morel, puis de Marius et Jacques qui ont transmis et transformé la société au fil du temps. « Nous travaillons pour la 5ème génération », déclare la toujours très pétillante et dynamique Amélie Morel, soucieuse, avec ses frères, de faire perdurer l'esprit de famille entrepreneurial sur le temps long. Pour l’anecdote, les cinq encoches qui figurent sur le bout des branches des lunettes Morel symbolisent cette volonté de transmission active. Certains mots reviennent souvent dans la bouche de celle qui est par ailleurs, on le sait, la présidente du Silmo : authenticité, passion, engagement environnemental, indépendance. « L’indépendance c’est un luxe qui nous permet d’avancer comme nous le souhaitons, insiste Amélie Morel. Nous sommes maîtres de notre stratégie. » Et maîtres des horloges car la société arrive aujourd’hui au terme d’un processus d’évolution de plusieurs années qui fait rimer transformation et aspiration : « Nous voulons être reconnus comme le lunetier français préféré des opticiens partout dans le monde », ambitionne la société par la voix d’Amélie Morel. Quelques chiffres permettent de prendre la mesure de son développement. Aujourd’hui, ce sont 250 personnes (dont une centaine ici même, au siège), tous profils de métiers confondus, qui font vivre le nom de Morel sur la planète lunettes. Accélérant son internationalisation, amorcée dans les années 30, l’entreprise est aujourd’hui active sur les cinq continents avec 17 filiales et 10 distributeurs, et présente dans quelque 20 000 magasins. Si l’Europe pèse pour 55 % du chiffre d’affaires (dont le montant ne nous a pas été communiqué), dont 35 % pour la seule France, c’est aussi en Amérique du Nord (près de 40 % du CA) que le frenchy Morel écrit sa success story. « Là-bas, notre potentiel de développement est encore important », assure Amélie Morel, pas peu fière de voir le chat, logo-fétiche historique de l’entreprise (3), plébiscité outre-Atlantique. Il faut savoir encore que la société vend chaque année 1 million de lunettes dans le monde. De quoi faire friser de plaisir les moustaches du félin…

Le designer Denis Bellone nous a guidés, lui, au sein du département création de la société. Ce Niçois d'origine n’est peut-être pas un enfant du pays mais c’est clairement un enfant de la lunetterie ! Cet ancien de chez JF Rey est un mordu de binocles, intarissable sur le sujet dès qu’il est lancé : « Je sais, je suis bavard ! », plaisante, tout sourire, celui qui chapeaute la direction artistique du lunetier jurassien depuis maintenant sept ans. À la tête d’une équipe de cinq designers, il vante l’approche créative maison : « Ici on cultive vraiment le goût de la liberté et de l’autonomie. Nos designers ont des parcours différents et c’est précisément cette singularité de chacun qui est féconde », s’enthousiasme Denis Bellone, vraie tête chercheuse qui a cependant bien les pieds sur terre : « Chez Morel, il y a un dialogue permanent entre le joyeux chaos de la créativité et l’extrême rigueur commerciale. Ce qui positionne le curseur d’un lunetier sur le marché, c’est le subtil dosage entre la surprise qu’il suscite, la qualité de ses produits et sa pertinence commerciale », analyse-t-il finement. Avec ses équipes, il a ainsi fait fructifier les archives de la maison tout en modernisant les gammes existantes (4) et en impulsant des collaborations très remarquées (avec Ora Ito, Nathalie Blanc, Jean Nouvel). Puis Denis Bellone fait les présentations avec une autre figure de la maison, la minutieuse Valérie Prillard. Qui est-ce ? La première femme Meilleur ouvrier de France, un titre qu’elle a décroché en 2015, et qui lui vaut de pouvoir porter l’emblématique veste à col tricolore (5). Elle travaille chez Morel au sein de l’atelier de prototypage intégré. Denis Bellone à nouveau : « La présence de Valérie nous permet d’expérimenter toutes sortes de choses en matière de créativité. C’est très précieux pour nous car le fait de ne pas avoir à solliciter un prestataire extérieur pour cette étape de la création est un gain de temps énorme. ». Plus loin, nous découvrirons ensuite les machines françaises (de conception lyonnaise) dites cinq axes et qui sont dédiées à la fabrication des montures en acétate (6). Car Morel, en 2022, a décidé de miser à nouveau, comme dans le passé, sur son propre outil de production. Un parc de machines ayant nécessité quelque 400 000 euros d’investissements. À la clé, 50 000 montures en acétate usinées sur place avant de passer dans les mains expertes et sous les yeux vigilants des ouvriers et ouvrières en charge de l’assemblage, du montage, du vissage, du cambrage des branches, du rhabillage manuel ou encore de la tampographie (7).

Après avoir traversé le service logistique (8) - 500 envois de colis par jour, 300 000 références stockées en permanence…-, nous avons fait la connaissance de Yannick Jacob qui coordonne, en étroite collaboration avec la direction, la politique RSE de l’entreprise. « Nous travaillons très concrètement et très sincèrement à améliorer tout ce qui peut l’être », fait valoir cette personnalité très posée qu’on sent aussi très déterminée à mener à bien les chantiers liés à l’éco-responsabilité sous toutes ses formes. Des exemples ? Réduction des émissions à effet de serre, sobriété énergétique (grâce au photovoltaïque notamment), emballages plus vertueux, réparabilité des montures (100 % des lunettes maison le sont), lutte contre l’obsolescence des stocks, totalité des verres de démonstration recyclés et recyclables (soit 6 tonnes de plastique), utilisation d’un acétate régénéré fourni par un partenaire à quelques kilomètres du siège, inox recyclé à 80 %, action de reforestation (7 500 arbres replantés dans le Jura), installation de ruches (9)… « On progresse chaque année un peu plus dans toutes les domaines, environnemental, social… Yannick centralise et structure nos initiatives en la matière », déclare Amélie Morel à propos de Mme Jacob qui intervient également, par ailleurs, dans le marketing. Dans le showroom flambant neuf que l’entreprise abrite dans ses locaux, elle nous a présenté, pour finir cette visite, la nouvelle segmentation de l’offre maison. « Nous l’avons repensée dans un souci de simplification et pour plus d’attractivité », explique-t-elle, dévoilant la réorganisation en question. De sept collections hier (Nomad, Oga, Koali, etc.), la nouvelle segmentation n’en comprendra désormais plus que trois : M, Morel et Marius Morel. À quoi il faut ajouter, mais avec un statut à part, une offre inédite de modèles readers sous la forme d’une box très stylisée de 12 pièces… Cette refonte a le mérite de la clarté et les opticiens français, à n’en pas douter, s’y repéreront mieux pour coller au positionnement de leurs propres magasins. Au terme de cette visite dans l’univers de Morel, un proverbe populaire nous est revenu en mémoire : « Quand il y a un chat dans une maison, cette maison a une âme ». Eh bien la maison Morel a une âme.

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