Quelles priorités, quels enjeux, quelles perspectives pour 2021 ? Durant tout janvier, nous proposerons différents points de vue sur l’état de santé et l’état d’esprit du secteur. Syndicalistes, industriels, créateurs, responsables d’enseigne ou dirigeants de centrale et bien sûr opticiens, nos intervenants partageront en exclusivité avec notre rédaction leurs regards. Aujourd’hui, entretien avec Jérôme Tondeur, co-opticien* de l’année 2019.

Fréquence Optic : Dans quel état d’esprit abordez-vous cette nouvelle année ?

Jérôme Tondeur : Avec l’envie de faire mon métier sereinement ! Et je ne parle pas seulement du contexte sanitaire auquel, finalement, nous nous sommes les uns et les autres assez bien adaptés.

À quoi faites-vous allusion alors ?

À nos relations de plus en plus compliquées, pour ne pas dire conflictuelles, avec les complémentaires santé. Si j’ai un premier souhait à faire pour 2021, c’est que notre rapport avec le monde assurantiel prenne enfin une autre tournure. La charge de travail que les Ocam nous imposent pour le traitement des dossiers est, à mes yeux, de plus en plus insupportable. Les prises en charge sont trop souvent entravées et nous faisons face, nous opticiens mais nos clients aussi, à toujours plus de complications. Résultat, notre quotidien s’en trouve sérieusement impacté. Le législateur, en prenant des positions claires, doit mettre fin le plus tôt possible à ce que j’estime être une pression grandissante de l’assurance sur notre secteur.

Ce qui vous pèse le plus, c’est l’aspect administratif ?

Pas seulement. Ce n’est pas qu’une question de paperasses et de temps perdu au détriment de la relation-client : c’est aussi et surtout une question de principe. D’après l’avis de la CNIL au printemps dernier, les organismes assurantiels privés n’ont pas le droit d’avoir accès à certaines données de santé personnelles, or c’est pourtant ce qu’on nous réclame chaque jour. Cette situation de flou juridique qui persiste autour des transmissions de données, place l’opticien dans une position inconfortable. Cela doit cesser, et vite. Il me semble que sur cette problématique nos syndicats professionnels sont, pour une fois, à l’unisson. Les assureurs tendent à toujours plus nous dicter notre conduite, et c’est inacceptable.

Défendre la notion « d’opticien de santé » vous tient à cœur depuis longtemps. C’est plus que jamais votre cheval de bataille ?

Dans mon idée tout est lié. Ce que j’ai dit précédemment sur nos rapports tendus avec les acteurs exogènes à notre profession impacte le métier tel qu’il devrait être pratiqué. Le discours consumériste axé uniquement sur la rentabilité, que tient une partie de la profession, n’est certainement pas le mien. Ma vision est tout autre : nous sommes des acteurs de santé avant tout, et la dépendance grandissante d’une large partie de la profession envers les Ocam, sous prétexte qu’ils sont apporteurs d’affaires via les réseaux, est à terme une impasse, selon moi. C’est la dimension santé qui doit structurer notre activité, pas le business à tous prix. Pour moi, le tout-commercial est une voie qui sacrifie notre savoir-faire au risque de le voir disparaître à jamais.

Pareil point de vue fait-il l’unanimité, selon vous ?

Je ne me fais aucune illusion et je ne m’attends pas à ce que tout le monde, du jour au lendemain, rejette les réseaux ou abandonne des positionnements où prime la seule approche retail. Et je pense qu’il y a de la place pour tout le monde sur le marché : discounter, low-cost, internet et opticiens de santé. Mais un recentrage plus massif sur l’aspect santé de notre travail me semble déterminant pour l’avenir même du métier. Basse vision, contactologie, prévention visuelle à l’école ou en entreprises, accompagnement en fin de vie, il y a tant de choses à faire en magasins et hors les murs ! Et c’est à chaque fois la dynamique ‘santé’ qui est en jeu. C’est elle qui doit être au cœur de notre métier ; et cela inclut la nécessité d’une réforme du cursus, indispensable et urgente. Ce serait un autre de mes souhaits pour 2021.

Votre discours est-il audible dans le contexte chaotique actuel, à l’heure où la crise sanitaire a fragilisé la situation de certains de vos confrères ?

C’est vrai, évidemment, que la période est particulièrement compliquée mais elle ne doit pas non plus servir d’excuse ou masquer les problèmes de fond. Au moment de l’entrée en application de la réforme 100 % Santé, juste avant que n’éclate la crise qu’on connaît encore, la profession a peut-être manqué l’occasion de remettre complètement à plat ses relations avec l’univers assurantiel. Nous avons raté ce rendez-vous par manque de volonté. Si la crise sanitaire a focalisé toute notre attention et notre énergie, et pour cause, il n’en reste pas moins qu’il y a un carcan qui pèse depuis trop longtemps sur les opticiens dans l’exercice du métier. Si on ne se mobilise pas d’une façon ou d’une autre, personne ne le desserrera pour nous.  

* En 2019, dernière édition en date de l’Opticien de l’année – puisque l’édition 2020 a été annulée en raison de la crise sanitaire –, Jérôme Tondeur a partagé le prix avec son confrère Stéphane Corfias.

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