Figure motrice de la sensibilisation à l’écologie en optique-lunetterie, Carole Riehl, opticienne de formation, connaît son sujet jusqu’au bout des cils. Depuis des années, elle ne ménage pas ses efforts pour convertir toujours plus d’acteurs du secteur à la cause "verte". En ce début d’année, on fait le point avec elle sur un sujet qu’elle aimerait voir davantage priorisé par ses confrères…

Fréquence Optic : Dans le secteur, on a rarement autant parlé d’écologie, non ?

Carole Riehl : J’ai l’impression en effet que la prise de conscience de la filière est maintenant généralisée. Avec des niveaux d’implication certes différents, mais ça bouge bien, enfin ! Attention toutefois à ne pas tout confondre car toutes les appellations ne se valent pas. Éco-responsabilité, développement durable, RSE…  derrière les mots, il y a des réalités différentes. Beaucoup mise en avant, la RSE, par exemple, n’est qu’un tout petit pan de l’écologie. Si on veut vraiment un réel changement, c’est une approche globale qu’il faut cultiver. C’est l’ensemble des actions et leurs interdépendances qui font véritablement sens.   

On sait que vous avez un oeil attentif à l’évolution écologique d’autres secteurs. Comment se situe l’optique ?

On est toujours en retard par rapport à ce qui peut se faire ailleurs en matière de bonnes pratiques. Le monde de l’optique a mis le temps pour amorcer la transition écologique, mais ça y est. Ce retard à l’allumage s’explique probablement parce que l’on est dans un secteur de santé. Parce qu’ils se concentrent sur d’autres priorités, les secteurs de la santé sont paradoxalement moins réactifs à l’urgence écologique. Le nôtre a commencé à bouger d’abord avec des contraintes règlementaires sur l’économie circulaire ou le recyclage, par exemple.

C’est sans doute plus facile pour les nouveaux entrants sur le secteur d’épouser la cause écologique, vous ne pensez pas ?

Les nouveaux arrivants intègrent en effet souvent le paramètre écologique dans leur logiciel d’entreprise, ils l’inscrivent dans leur ADN. Pour les "anciens", en revanche, c’est plus compliqué d’embarquer tous les collaborateurs et de revoir des processus bien ancrés. Une approche authentiquement écologique, c’est tout un ruissellement : du haut de la pyramide à la base, du patron à l’intérimaire. Dans une grande entreprise, on peut comprendre qu’impliquer toutes les parties prenantes soit plus difficile. Reste que l’urgence écologique, elle, est là…

Pour les gros faiseurs de l’industrie, la stratégie des "petits pas" vous semble-t-elle pertinente ?

Les acteurs historiques du secteur partent de plus loin, donc un petit pas, à leur échelle, c’est toujours bon à prendre. C’est un travail de longue haleine de s’impliquer en interne, mais aussi d’entrainer avec soi les intermédiaires, les partenaires, etc. On peut constater que nombre de fabricants importants ont désormais amorcé la machine. La mécanique est en marche et si on aimerait voir des changements rapides, on comprend évidemment qu’ils ne peuvent pas, du jour au lendemain, bouleverser leur paradigme. C’est souvent l’audace ou la conviction d’un décideur haut placé qui accélère le changement.

Les salons internationaux aussi semblent à leur tour vouloir valoriser les initiatives ecofriendly, notamment à travers l’attribution de prix…

Là aussi ça éveille les consciences, c’est une façon de mobiliser les bonnes énergies. En termes de communication, c’est de toute évidence une chambre d’écho supplémentaire. Dans l’avenir, il faut souhaiter que les standards de ces prix gagnent davantage en exigence. Une transparence complète sur les critères de sélection des candidats ou les cahiers des charges, par exemple, crédibilisera encore plus ces prix-là. Pouvoir faire la part des choses entre ce qui relève de démarches cosmétiques pour verdir une image - le fameux green washing - et ce qui ressort de projets concrets, c’est tout le défi.

De votre côté, toujours sur le terrain de l’événementiel, vous avez lancé, à travers Recycl’Optics que vous présidez, le 1er Congrès de l’optique-lunette durable (COLD) ? Que retenez-vous de cette première expérience ?

Que du très positif ! La qualité des échanges, des exposants et des intervenants a été profitable à tous ceux qui ont fait l’effort de venir [L’événement avait lieu à Dourdan, dans l’Essonne, en novembre dernier]. Les syndicats d’opticiens ont participé à l’événement, preuve qu’ils s’intéressent de plus en plus à ces questions. Pour une première, c’était une réussite. Je retiens aussi la présence, assez symbolique quand on y pense, d’une école d’optique de Normandie qui a fait le déplacement grâce à l’initiative d’une enseignante très active. La venue de ces profils scolaires est une source de satisfaction supplémentaire car ce sont les nouvelles générations qui sont et seront appelées à porter ces questions, demain.

Justement, sensibilise-t-on assez, selon vous, les futurs diplômés ?

Pas assez, je le crains. Et ce n’est visiblement pas prêt de changer car le travail autour du futur référentiel du BTS ne comporte rien là-dessus, à ma connaissance. Autant que je sache, on n’y parle ni écologie ni développement durable. De même, d’ailleurs, qu’on n’évoque pas suffisamment l’histoire de notre métier. C’est un parallèle qui a du sens : les jeunes générations ne savent pas d’où vient ce métier et comment il a évolué dans le temps.

Vous voulez dire qu’il y a dans l’enseignement un manque de regard sur le passé comme il y a un manque de vision de l’avenir ?

C’est un peu ça, oui. Comment savoir où on va si on ne sait pas d’où on vient ? Cette double dimension - l’histoire d’une part et le futur, avec le souci écologique, d’autre part - devrait être prise en compte dans l’apprentissage du métier.

On a parlé de l’implication des entreprises, des marques, des salons. Et les opticiens ? Vous semblent-ils plus réceptifs ?

Ils se montrent de plus en plus intéressés, ça c’est sûr. Mais on sent, soyons francs, que ça coince encore quand il s’agit de passer à l’acte, de passer le cap de l’engagement concret au quotidien. Bien souvent, ils ne savent pas comment s’y prendre pour s’approprier à leur échelle les problématiques écolos. Je parle surtout des indépendants, car les opticiens sous enseigne appliquent, eux, la politique RSE de la tête de réseau.

Janvier étant propice aux bonnes résolutions, quels conseils donneriez-vous à un.e opticien.ne qui veut "se mettre au vert", si on peut dire ? Par où commencer ?

On revient à la stratégie des petits pas, des petits gestes. Certes il y a une urgence écologique mais il faut faire les choses à son échelle et à son rythme. L’important c’est de mettre en place des initiatives. Commencer c’est bien, mais continuer c’est ça l'essentiel. Les amorces possibles sont nombreuses : triage des déchets, recyclage, choix d’un fournisseur d’énergie verte, économies d’eau, sourcing vertueux en s’entourant de prestataires ou de fournisseurs engagés, entre autres exemples. On peut aussi faire un état des lieux de l’empreinte carbone de son activité. Pour ce faire, des CCI ou l’Adème ont mis en place des outils d’accompagnement des commerçants. Bref, il y a plein de portes d’entrée. La moindre chose peut servir positivement. L’expérience montre que si on fait les choses petit à petit, on progresse. Il faut enclencher un mouvement et ensuite l’effet d’entraînement, l’effet boule de neige disons, portera ses fruits.

Où en êtes-vous avec Optic For Good, votre label pour les marques et les opticiens lancé en 2019 ?

Pour les marques, notre audit va désormais comporter une analyse de cycle de vie (ACV). C’est une méthode d'évaluation visant à quantifier les impacts environnementaux d'un produit ou d'un service. Cela permettra aux marques de collecter des données précises et concrètes pour améliorer dans le temps leur empreinte environnementale, et mieux orienter leurs efforts suivant les axes les plus pertinents pour chacune. Pour les opticiens, l’objectif 2024 est de sensibiliser les ministères, celui de la Transition écologique en tête, à la nécessité d’accompagner fiscalement, avec des aides par exemple, celles et ceux qui veulent investir sur l’écologie. Un dispositif incitatif aiderait plus d’opticiens-entrepreneurs, je pense, à franchir le pas.


Carole Riehl, ses dates-clé :

2001 diplôme d’optique à Fresnel
2014 création du blog Les Lunettes écologiques
2019 lancement du label Optic For Good
2022 fondation de l’association Recycl’Optics
Novembre 2023 1ère édition du Congrès de l’optique-lunetterie durable (COLD)

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