Jeudi 7 décembre, le Dr Vincent Dedes, nouveau président du Syndicat national des ophtalmologistes de France (quelque 2 500 adhérents), nous a accordé un entretien. L’occasion de faire le point sur différents dossiers en cours - la téléconsultation chez les opticiens, l’accès aux soins… - et d’évoquer ses priorités.

Vous entamez votre premier mandat. Serez-vous dans la lignée de votre prédécesseur, Thierry Bour ?

Je suis investi depuis dix ans dans les travaux du syndicat et nous partageons globalement la même vision des choses. Il y a bien sûr une convergence sur la plupart des dossiers et des priorités, à commencer par le développement efficient de notre profession sur tout le territoire, à travers le réseau des cabinets secondaires et du travail aidé. Mais c’est l’actualité, vous le savez bien, qui peut faire évoluer des positions. Toute activité syndicale s’inscrit dans un contexte.  

Le contexte, justement, c’est encore et toujours la question de l’accès aux soins. Que pensez-vous de la récente démarche de l’UFC-Que Choisir ?

À l’UFC-Que Choisir, ils ont une approche un peu particulière, en ce sens que leur définition de ce qu’est un désert médical est discutable. Discutable parce que leurs critères sont réducteurs. En se focalisant sur les seuls praticiens de secteur 1, le maillage de l’offre de soins se réduit forcément, c’est mécanique. Dans sa méthodologie, l’UFC-Que Choisir devrait au moins intégrer les médecins de secteur 2 Optam (NDLR : l'Option pratique tarifaire maîtrisée est une convention passée entre l'Assurance maladie et les médecins de secteur 2 volontaires. En la signant, ils s’engagent à limiter leurs dépassements d'honoraires).

Le problème avec les données sur l’accès aux soins, c’est que vos études ne concordent pas avec celles que les acteurs de l’optique produisent de leur côté…

Je dois dire qu’on a un vrai souci pour avoir le détail des méthodologies des enquêtes réalisées par le secteur de l’optique. Quand on les demande, on ne les obtient pas. Il me semble par ailleurs que dans les études menées par les acteurs de l’optique, il y a souvent un biais dans la façon de poser les questions : ces sondages s’intéressent aux ressentis des répondants, pas aux faits. Or nous, au contraire, nous nous basons sur des éléments factuels, objectifs, ce qui est une approche bien plus transparente. Nos chiffres sont fiables, et ils parlent en notre faveur. Je note d'autre part que les instituts statistiques publiques sont en phase avec nos données qui montrent que l’ophtalmologie est devenue l’une des spécialités les plus accessibles. Même si, évidemment, il y a encore des zones dont il faut densifier l’offre de soins. C’est notre prochain challenge.

Que répondez-vous à ceux qui estiment que le développement de la téléconsultation témoigne de ce que l’accès aux soins est toujours problématique ?

Cet argument est infondé parce que, je le redis, les délais se sont globalement améliorés ces dernières années. Le développement de la téléconsultation, notamment dans les magasins d’optique, est en réalité le fruit d’une démarche purement commerciale. Certains opticiens ont besoin d’ordonnances pour faire tourner leur activité. C’est d’ailleurs l’augmentation du volume des ventes, l’amortissement rapide ou le fort taux de transformation que la plupart des opérateurs mettent en avant dans leur communication.

Ce qui signifie que vous êtes définitivement contre l’implantation de la téléconsultation en points de vente optiques ?

Quand Thomas Fatôme, le directeur de la Cnam, parle de « Far West de la téléconsultation », je suis complètement d’accord avec lui. Et d’abord parce que la réalité c’est que le patient ne dispose pas vraiment du libre-choix de son opticien, dans le cas où une ordonnance a été émise. D'une certaine manière, on peut dire que la prescription est ''captive'' du magasin où la téléconsultation a été réalisée. Je pense d’ailleurs que ce modèle va au-devant de gros problèmes car le cadre légal va se durcir avec des mesures du PLFSS 2024 et les deux référentiels de la HAS, à paraître prochainement. Ce modèle de l’installation de la téléconsultation dans une surface à vocation commerciale, en optique ou dans tout autre espace marchand d'ailleurs, pose un problème manifeste, celui du mélange des genres. Il y a un risque évident de compérage et de dérives.

Dès votre nomination, vous avez dit qu’une des priorités de votre feuille de route était la réduction de la dépendance des Français aux lunettes. Qu’entendez-vous par là ?

Tout simplement qu’il faut diversifier les alternatives offertes au patient. Il y a la chirurgie réfractive qui se développe avec des résultats toujours plus durablement efficaces. Aujourd’hui on estime à 170 000 le nombre d’actes en la matière. Depuis le covid, les interventions augmentent. Je précise que la chirurgie ne fera jamais disparaître les lunettes, comme on a pu l’entendre par le passé. Ce débat-là est archaïque. La chirurgie de la cataracte elle aussi fait ses preuves : on peut réduire la dépendance à une correction optique grâce aux implants de plus en plus adaptés aux besoins visuels des patients. Pensons aussi à la contactologie qui est insuffisamment développée en France. Le taux d’équipement pourrait être plus important. Sur ce point, je remarque que nos jeunes confrères se montrent de plus en plus intéressés par les lentilles de contact. Pour transmettre les bonnes pratiques pour un port sécurisé et limiter les abandons, les opticiens ont d’ailleurs un rôle-clé d’informations et de conseils à jouer. Enfin, il est impératif d’amplifier la prévention et la freination de la myopie infantile grâce à un dépistage précoce et un suivi médicalisé rapide.

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