Le Dr Thierry Bour préside le Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF) depuis 2014. Alors qu’il entame son troisième mandat, nous abordons les problématiques et enjeux de la filière visuelle qui sont, de son point de vue, prioritaires.

Fréquence Optic : Lors de votre précédent mandat, entre 2017 et 2020, sur quels dossiers estimez-vous avoir obtenu le plus d’avancées ?

Thierry Bour : Il s’est passé beaucoup de choses en trois ans. Le plus important, c’est sans doute le développement d’une équipe pluri-professionnelle autour de l’ophtalmologiste. La reconnaissance, enfin, des assistants médicaux est à ce titre une grande avancée. Une autre évolution essentielle, c’est l’entrée en vigueur d’une nouvelle convention collective pour les cabinets médicaux. Contrairement à l’ancienne, qui datait des années 70/80, celle-ci correspond bien mieux à la diversité des profils qui peuvent intervenir dans un cabinet. Le nouveau cadre permet, entre autres exemples, d’embaucher des opticiens-lunetiers au titre de l’activité d’appareillage médical. Cette nouvelle convention clarifie le recrutement dans nos cabinets, et ce en vue de développer toutes les formes de travail aidé, paramédicales et administratives.

Les opticiens peuvent-ils devenir assistants médicaux ?

Ils le peuvent, oui. Pour ce faire, ils devront suivre une formation dont le référentiel a tout récemment été validé, et qui entrera bientôt en application. Ceux des opticiens qui pratiquent déjà la réfraction et l’adaptation en contactologie pourraient ainsi, en qualité d’assistants médicaux, élargir leur périmètre de compétences. C’est une évolution de carrière possible pour ceux qui, peut-être, ne veulent plus travailler en magasins.

La parution du rapport IGAS semble avoir crée des tensions avec les opticiens, ces derniers se voyant possiblement attribuer, contre l’avis de votre syndicat,  de plus larges prérogatives à l’avenir…

Le problème de ce rapport c’est, d’abord, son timing. Écrit avant la pandémie, il ne prend pas en compte les effets qu’elle a entraînés. Il aurait mieux valu attendre un peu et intégré dans la réflexion les conséquences de la crise sanitaire. En décaler la parution aurait été peut-être plus pertinent pour mieux évaluer l’impact sur la filière. Ce qui est sûr, pour répondre à votre question plus précisément, c’est que l’évolution du rôle de l’opticien ne pourra se faire que sous certaines conditions qui, pour l’instant, ne sont pas réunies. La montée en compétences – la troisième année de formation est un serpent de mer… – et l’existence d’un code de déontologie comptent notamment parmi ces conditions. Des conditions dont il faudra discuter avant leur éventuelle mise en place. Une question par exemple sur l’aspect éthique : comment faire respecter des règles professionnelles sans l’existence au préalable d’un ordre professionnel ? Le sujet de la télémédecine aussi est problématique. À l’heure actuelle il n’y a aucun cadre légal établi. Mon opinion, c’est que la télémédecine n’est pas envisageable en point de vente parce que le magasin n’est tout simplement pas un environnement commercialement neutre. Donc oui, en effet, il y a des questions qui méritent clarifications. 

On parle beaucoup de résilience de la filière visuelle. Qu’en pensez-vous ?

De fait, le marché de l’optique a très vite rebondi au sortir du premier confinement. Le rattrapage a été très rapide, notamment parce qu’il y a 30 millions d’ordonnances valides en circulation. Les opticiens se sont visiblement bien saisis de la possibilité de renouvellement des équipements à partir des prescriptions en cours de validité, et c’est ce qui explique, je suppose, la dynamique très positive observée sur le marché français, contrairement, semble-t-il, au reste de l’Europe, plus à la peine. On peut même supposer que la période de mai 2020 à mai 2021 affichera une croissance supérieure à la même période en 2019-2020.

Comment évolue la prise en charge de votre patientèle dans cette situation de crise sanitaire persistante ?

Pour la chirurgie, le rattrapage du retard accumulé lors du premier confinement ne sera pas possible. D’ailleurs, avec le recul, on peut dire que la décision des pouvoirs publics de suspendre pendant deux mois tous les soins, hors urgences, a été une terrible erreur. On a le plus grand mal à retrouver les niveaux d’intervention antérieurs, et d’abord parce que les établissements sont souvent requis, question de priorité, pour les prises en charges liées au Covid. Concernant les urgences qui auraient dû être traitées pendant le premier confinement et qui ne l’ont pas été, certaines situations sont, hélas, dramatiques. Quant aux patients atteints de maladie chronique, leur suivi a été plus espacé pour récupérer le décalage général des soins du printemps.

Et s’agissant des prescriptions de lunettes ?

D’après les données, toutefois partielles, que j’ai pu voir passer ici et là,  il n’y a pas de diminution de l’activité des cabinets sur ce plan. De nouvelles ordonnances sont émises au même rythme qu’avant la crise sanitaire.

Pas de pénurie en cours ou à venir, donc, selon vous ?

Non, il n’y a pas de pénurie. Je le redis : quelque 30 millions de prescriptions sont toujours en cours de validité, auxquelles s’ajoutent celles que nous émettons chaque jour. Peut-être y a-t-il des tensions localement, dans des zones sous-dotées en médecins, mais cela n’est même pas certain.

La seconde partie de l'entretien sera publiée cet après-midi.

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